Mais des actes comme la prise de pouls, qui reste toujours
d’actualité dans la relation médecin malade, ou la
mire des urines sont si souvent représentés alors
qu’ils ont été supplantés par de nombreux
aspects de l’examen clinique, qui semblent tout aussi marquants
telle l’auscultation... A croire que la représentation du
médecin non dans l’art mais dans la pensée
collective n’évolue pas ou peu, ou que les symboles qui le
caractérisent se sont perpétués, comme le savoir
du médecin à travers l’uroscopie,
représentation qui persiste au-delà de sa pratique. Ces
représentations répondent-elles à une vision
fantasmée de la médecine, de celui qui sait, comme par
instinct ou vision divine, sans avoir besoin d’un cheminement
scientifique. Est-ce que les artistes ignorent le plus longtemps
possible la technicisation de la science à travers ces
représentations, car ce n’est pas ce qu’ils
attendent ou pensent que le spectateur attend de l’homme de
l’Art médical. Le médecin est souhaité avant
tout comme un être d’écoute et sa
représentation se plie à cette attente. La prise de pouls
serait alors présente juste pour identifier le médecin
rapidement, sans avoir à déployer tous les autres
symboles du savoir médical. Mais elle serait un temps
d’écoute et de réconfort cher à celui qui
n’est pas médecin. La satire dénonce souvent une
inhumaine froideur de l’homme de l’Art face à la
souffrance, voire presque un côté sadique et parfois une
incompréhension, par manque d’écoute le plus
souvent. La mire des urines représenterait le savoir, le
médecin est alors celui qui rassure, par ce savoir.
Une fois l’identification du médecin assurée, celle
du patient est d’autant plus simple. Mais le cheminement du
spectateur observant les tableaux ne se fait pas forcément dans
cet ordre chronologique, car concernant le patient, si sa maladie
n’est que rarement identifiable, son statut est évident et
sa place est souvent centrale. La représentation
s’intéresse plus au malade qu’à
l’action du médecin. Ce dernier est présent dans
les tableaux pour soutenir, entourer son patient et appuyer son statut
de malade. Ce qui semble définir son art. Il arrive
d’ailleurs que le patient soit l’artiste lui-même
comme Goya ou Munch, ces tableaux sont alors soit des gestes de
gratitude soit l’expression d’une souffrance en
présence du médecin.
Il existe des évolutions que nous avons essayé de mettre
en évidence : par exemple la disparition de la
présence religieuse dans le soin, au profit d’une
technique croissante de l’acte médical jusque dans
l’exploration du corps de l’autre. La peinture
académique s’est emparée du genre, de même
que les tableaux de commande. Il arrive ici aussi que le médecin
lui-même, comme Chicotot, se mette en scène : ce
geste qui pourrait paraître immodeste, se veut un
témoignage de l’évolution de la science, et il
l’auteur oublie alors l’aspect humain de la médecine.
Nous constatons qu’il existe deux périodes fastes pour la
représentation des médecins auprès de leurs
patients qui sont :
le XVIIe siècle avec la peinture de genre du Nord, à une
époque où les sujets choisis par les peintres ne sont
plus seulement religieux, mais davantage profane. Il succède
à la Renaissance où le baroque et le classicisme sont
associés à l’humanisme, où la
priorité est donnée à l’humain, à
l’être faible, dans une forme de lyrisme intime ou violent
qui peut tout dire de notre condition. Les commanditaires en Hollande y
sont exigeants et demandent à l’art de rivaliser avec le
réel et de le remplacer, même s’il est souvent
filtré à travers la lentille de la sensibilité
morale. On peut ajouter une lecture iconologique de ces tableaux,
où l’amour et la mort sont le plus souvent
signifiés. [Lévi2004 p.191] Au XVIIe siècle, la
peinture du Nord est plus présente dans cette étude,
Michel Ange opposait alors « la peinture flamande, qui se
soucie avant tout de conformité aux valeurs morales ou de
fidélité dans la représentation du réel,
à la peinture italienne qui se soumet aux seules exigences du
beau » [Todorov1993 p.20]
le XIXe siècle, avec la Restauration, et le traumatisme
causé par la Révolution, où le Romantisme
naît et se prolonge durant la première moitié du
siècle. Il est le siècle de la naissance de
l’individualisme, avec une attention portée à la
subjectivité, au for intérieur. Dans la deuxième
moitié du XIXe siècle, se développent les courants
réaliste et naturaliste qui s’orientent sur une
retranscription extrêmement fidèle, et
détaillée de la réalité. A la fin du XIXe,
puis au début du XXe siècle, l’impressionnisme et
le fauvisme contribuent à libérer la pratique du peintre.
L’ambition de l’impressionnisme est de retranscrire avant
tout les lumières, les ambiances colorées, les
atmosphères. L’attention portée à la
subjectivité connaîtra son apogée avec
l’expressionnisme. De plus, le tournant majeur qu’a pris la
médecine à la fin du XVIIIe siècle, a dû
inspirer les artistes, qui tantôt mettent leur art au service de
la médecine exerçant un prosélytisme scientifique,
tantôt veulent exprimer leur ressenti par rapport à cette
médecine nouvelle. Les grands médecins tels que les
nouveaux chirurgiens et les psychiatres, mais aussi l’Etat
profitent de cette interrelation entre l’art et la
médecine au XIXe siècle pour magnifier leur image et
celle de cette médecine.
Malades et médecins intéressent les artistes quelles que
soient les écoles auxquelles on peut les rattacher, et
indépendamment de leur style personnel. Ils ont en commun une
pulsion vers le « réalisme », vers la
représentation de la nature telle qu’elle peut être
perçue par l’œil de l’observateur. [Levy2004
p.3] De plus, on porte un intérêt croissant au corps.
L’aspect triomphant des études anatomiques dont le fleuron
demeure l’ouvrage de Vesale « De humani corporis
fabrica libri septem » datant de 1543, a marqué le
XVIe siècle, début de la période
étudiée. L’étude du corps a passionné
les esprits pendant toute la période.
On a parfois reproché aux artistes de tenter de trop apitoyer
les spectateurs par une complaisance misérabiliste, ou
d’attirer trop de compassion en particulier au XIXe siècle
avec les enfants blessés ou malades.
Il est bien entendu que c’est l’image non pas du
médecin et de son patient, mais des médecins et de leurs
patients que nous avons découverte sur ces toiles, autant de
vies différentes que de vocations diverses, [Harse1999 p.433]
des médecins dans des situations semblables, avec des attitudes
très différentes auprès de leurs patients.
L’interprétation des tableaux, quand on ne peut
l’appuyer sur un livret de salon ou autre notice explicative,
reste subjective, on peut lui faire dire ce que l’on veut. Nous
avons tenté, avec des bases d’histoire de la
médecine, de contextualiser les tableaux et ainsi de comprendre
au mieux leur objet.
Nous tentons de synthétiser ci –après l’analyse de ces différents tableaux.
I. Une relation d’écoute
Le médecin laisse d’abord au patient la place
d’exprimer ses souffrances, on n’a recensé que
très peu d’interrogatoires bruts, mais beaucoup
d’examens cliniques sommaires tenaient lieu
d’écoute. Ces situations ne génèrent pas
trop de parasites pour une
communication entre le médecin et son
patient, et elles permettent surtout au spectateur d’identifier
rapidement les personnages.
Le patient est souvent une jeune femme lorsqu’il s’agit de
maladie, et un homme parfois vieux dans les cas
d’opérations chirurgicales. La femme est celle qui est
plus fragile et peut être plus à l’écoute de
sa santé. L’homme, appartenant au sexe fort dans la
pensée collective, ne faiblit que s’il lui arrive un
accident, des forces extérieures qu’ils ne
maîtrisent pas ; il ne cède pas aux
défaillances du mal d’amour par exemple. De plus, pour des
raisons de pudeur, peut être, on dénude plus facilement le
corps de l’homme pour les interventions chirurgicales.
Les enfants apparaissent avec la prise de conscience de leur force pour
la nation au XIXe siècle et sont souvent utilisés pour
attirer la compassion auprès des spectateurs, les enfants
malades ou blessés même mortellement sont alors
représentés.
La présence de l’entourage est souvent utilisée par
l’artiste pour expliquer la maladie ou pour appuyer une
sensation, celle de drame avec des accompagnants éplorés
ou celle de l’anxiété, ou celle l’imminence
de la mort suggérée par certaines silhouettes. Le
colloque singulier n’était, de fait, que peu
respecté, une des raisons principales est que la visite à
domicile est fréquente et donc présence de la famille
difficilement évitable. Mais même au cabinet des
chirurgiens, des commères ou des membres de la famille
accompagnent le malade. L’entourage symbolise aussi la pulsion
scopique en chirurgie, le spectateur se retrouve dans le tableau sous
la forme d’un ou une commère. Il peut également
illustrer la compassion de l’artiste et du spectateur et par
conséquent une volonté de soutien, de réconfort
par une présence.
La pathologie est rarement identifiable, comme si toutes les maladies
équivalaient à une seule souffrance, celle dans laquelle
le spectateur peut s’identifier, celle qui l’effraie. Elle
se résume en une perte d’autonomie par une asthénie
majeure. La maladie, quand elle est identifiable, est rarement
effroyable, elle par exemple la maladie d’amour dans les
peintures de genre. Ce style s’est emparé de la vie
quotidienne où la maladie et donc la médecine trouvent
aisément leur place à côté des kermesses,
danses villageoises, des intérieurs calmes et paisibles
où se déroulent chaque jour les mêmes incidents.
La souffrance psychique peut être représentée
souvent lors de l’approche de la mort, quand la maladie est
sérieuse, ou par l’entourage qui montre de
l’inquiétude ou de l’angoisse. Sinon le malade est
parfois souriant, pour des maladies avec peu de gravité comme la
maladie d’amour. La souffrance physique, ou douleur est souvent
provoquée par le médecin, plus exactement le chirurgien,
par son action sensée être thérapeutique. Cette
douleur, comme l’agonie, déforme souvent les visages des
patients.
Les épidémies voient plus la présence de
l’armée ou de visites officielles que de médecins
au chevet des patients. Dans ces circonstances, ceux-là
paraissent sans grande efficacité, mais leur dévouement
en ressort d’autant plus glorieux. L’épidémie
de choléra présente des médecins, ceux-là
mêmes qui étaient accusés
d’empoisonnement.
L’examen clinique est très succinct dans les
représentations (le médecin ne disposa pour celui-ci que
de ses organes des sens jusqu’au XIXe siècle) très
marquées par la symbolique de ce qu’est le
médecin : prise de pouls et uroscopie, largement plus
fréquents que les autres examens.
La prise de pouls permet de créer un contact entre les deux
personnages par la main, un des attributs du corps les plus individuels
après le visage, permettant ainsi à l’artiste de
donner une intention à chacun et de se positionner ainsi dans la
relation. Cette main permettra, aussi, d’évoquer un
diagnostic, d’être le prolongement de la pensée du
médecin.
L’imagination du peuple a été tellement
frappée par l’importance que les médecins
accordaient à l’examen des urines, que l’art est
souvent tombé dans l’excès de sa
représentation. Ce modeste ustensile qu’est l’urinal
eut un rôle essentiel jusqu’au XVIIIe siècle dans la
représentation des scènes médicales.
La peinture de la nudité dans les représentations
médicales évolue au cours de la période
étudiée, en même temps que la représentation
du corps dans la pensée scientifique et populaire. La
théorie des humeurs l’affirme, tout ce que le corps
produit est impur, par conséquent on le cache. Les
mentalités changent, on soumet alors le corps à toutes
sortes d’explorations, qui permettent de découvrir ce
qu’il recèle à l’intérieur. Et la
physiopathologie permettra de rattacher les maladies à des
parties du corps. Celui-ci se dépersonnalise au fur et à
mesure que la science progresse, la nudité choque alors moins et
le corps humain souvent morcelé par le progrès peut
être montré. Mais il n’appartient plus vraiment au
patient, il devient l’objet de la science. Il n’est plus de
cette façon un sujet de pudeur.
La distance entre les deux personnages est en partie imposée par
les limites de la bienséance, mais également par la
personnalité du médecin, et à un moindre
degré par celle du patient. Le modèle paternaliste qui
prévalut longtemps, est souvent présent dans les
tableaux. Il arrive pour autant que la distance puisse être
adaptée à un climat de confiance, celui qui permet au
colloque singulier de s’établir. Et l’on remarque
que malgré un modèle paternaliste prédominant,
l’empathie transparaît dans certaines peintures, par une
douceur sur le visage du médecin et dans ses gestes. Il se met
à l’écoute physiquement. Il n’évite
pas le regard de son patient, il n’a pas peur d’entendre
ses plaintes et semble prendre le temps pour cela. Il s’assoit ou
se met à la hauteur du patient, l’artiste essaie peut
être de signifier ainsi qu’il s’adapte au niveau de
compréhension du patient, en acceptant de rabaisser la
manifestation de son savoir.
L’annonce diagnostique qui suit cet examen clinique, est une
partie importante voire décisive de la relation. Le patient doit
être éclairé, informé, mais le
médecin doit respecter son patient et tenir compte de ce
qu’il est capable d’entendre. Le médecin
s’élève dans ces scènes au rôle
de découvreur du quotidien, grâce à son bagage
scientifique, on lui attribue ce pouvoir quasi divin d’une vue
presque extralucide de deviner l’avenir de son patient par son
diagnostic et le pronostic qui en découle. Il peut aussi
être celui qui doit annoncer la mauvaise nouvelle, on voit alors
un médecin discret, presque inexistant, comme celui qui est
incapable ou refuse d’affronter ce qu’il considère
comme un échec. L’annonce diagnostique est
représentée dans deux aspects diamétralement
opposés, celui où la médecine est grandie par sa
découverte, et celui où elle brise l’espoir
qu’elle est censée fournir par sa présence.
L’accompagnement du patient par le médecin est une partie
riche de cette relation. Le médecin est souvent
représenté au chevet d’un patient agonisant. Le
médecin était-il souvent auprès de ses patients
jusqu’à leur mort ? Ces images sont des images
fortes, parlant à l’inconscient collectif. D’abord
par l’image de la mort qui effraie chaque spectateur. Ensuite la
fin de vie et l’agonie révèlent tout le
dévouement, la compassion et l’humanité des
médecins par leur accompagnement jusqu’aux derniers
instants, laissant alors souvent sa science de côté (aucun
symbole ou instrument de celle-ci n’est présent). Les
sentiments qui se dégagent de ces scènes peuvent
être partagées, allant de l’impuissance à la
compassion. Des artistes appartenant aux mouvements romantiques ou
expressionnistes ont été inspirés par les
scènes de ce genre.
II. Une relation de pouvoir
L’action est un mode de représentation du médecin
auprès de son patient qui a beaucoup séduit les artistes,
comme si elle rehaussait son rôle. Effectivement il existe de
nombreuses représentations de ses actes souvent
thérapeutiques et parfois préventifs. Pourtant la
chirurgie, et tout ce qui touche le corps, sont, jusqu’à
la fin du XVIIIe siècle, des métiers jugés
avilissants par les médecins. Cette étape de la relation
qu’est l’action, pourrait être la partie visible de
la médecine, et surtout sa finalité, en
représentant celui qui lutte contre l’issue fatale de la
vie. Comme si les artistes et les spectateurs se plaisaient à
croire qu’il existe des moyens pour combattre leurs peurs et
leurs angoisses, et souhaitaient s’en convaincre par la
représentation.
Cette action n’est pourtant pas anodine, elle
génère souvent de la douleur et l’on peut voir
l’appréhension de cette douleur, chez certain patient.
On peut observer la nouvelle passion pour la technique dans les actes
diagnostiques médicaux et paramédicaux, par
l’apparition d’une instrumentalisation, écran
s’interposant entre le médecin et le patient.
La prescription qui résume souvent l’acte
thérapeutique du médecin, est représentée
plusieurs fois, le praticien se tenant au coté du patient,
finalisant cette consultation. Comme une conclusion, pour laquelle le
médecin s’assoit le plus souvent, prend plus de
temps ? Elle est, avec le diagnostic, le moment où le
médecin peut asseoir son savoir, même si elle n’est
pas souvent surprenante car les traitements sont souvent identiques. Le
plus souvent le traitement sera ensuite attribué par un
apothicaire ou pharmacien, ou exécuté par le chirurgien.
Comme nous l’avons évoqué, la présence du
médecin peut parfois suffire, et les nombreux tableaux où
le médecin est présent auprès de son malade, le
réconforte parfois en lui prenant la main, et où le
patient n’exprime plus aucun symptôme, pourraient en
être la preuve.
Les médicaments sont présents sous forme de
médications orales, en verre, bouteille, mortier dans
lequel on pile les futurs médicaments pendant la consultation,
dans de nombreux tableaux. Ils représentent au-delà de
l’effet placebo, le lien permanent entre le médecin et le
patient, mais souvent discrets, ils ne sont pas le centre
d’intérêt des œuvres, comme si, dans la
pensée des artistes et des spectateurs, la relation primait sur
la médication.
Les chirurgiens sont eux quasiment toujours représentés
dans l’acte, contrairement aux médecins, comme si
l’acte chirurgical résumait leur rôle et que
l’interrogatoire ou l’examen clinique ne faisaient pas
parti de leur fonction. Ils sont longtemps les seuls à toucher
le corps, exerçant un « Art
mécanique ». Un bémol à noter ici,
c’est que la différenciation du médecin et du
chirurgien pourtant longtemps marquée par l’enseignement,
n’est pas toujours évidente à l’œil du
spectateur non averti.
Les chirurgiens ont souvent effectué au début de la
période étudiée tous les actes prescrits de la
saignée et la purge, à l’acte de petite chirurgie,
avec des interventions principalement sur le dos et le pied, pour
éviter de trop dénuder les corps ?
La représentation de la petite chirurgie est à son
apogée dans la peinture du Nord du XVIIe siècle, les
compositions sont souvent similaires, les expressions des personnages
plus ou moins authentiques en fonction de l’intention satirique
ou non de l’artiste.
Des interventions que l’on n’imaginerait pas exister avant
la pratique de l’anesthésie comme l’amputation, la
trépanation, la chirurgie ophtalmologique, les cures de hernies,
sont pourtant présentées comme support
d’enseignement dans les manuels de chirurgie. Ils étaient
certainement destinés aux chirurgiens de robe longue, habit que
l’on ne voit pourtant pas apparaître dans les peintures.
Leur présence quasi exclusive dans les manuels, prouve la
rareté de leur pratique en réalité. La
qualité didactique de ces lithographies enlève de
l’authenticité à la retranscription de la relation
médecin malade. Mise au service de la technique, ces
représentations se concentrent sur l’acte chirurgical. A
noter que le patient demeure représenté
entièrement.
Puis le progrès technique engendre une accentuation de la
nécessaire déshumanisation de la relation chirurgien
patient, en même temps qu’une confiance croissante, avec un
plus grand recours à la chirurgie grâce à
l’asepsie et l’anesthésie. Les patients sont
représentés par des corps morcelés,
inanimés, sur lesquels des chirurgiens et toute une
équipe médicale interviennent et apprennent, jusque dans
des amphithéâtres de chirurgie où
l’assistance rappelle celle des célèbres
leçons d’anatomie.
Les chirurgiens sont alors présents dans quelques visites post
opératoires au chevet du patient, comme pour rehausser la
chirurgie au niveau de la médecine, statut acquis depuis peu
dans les esprits, et surtout pour faire valoir le résultat de
leur action. Ce sont principalement des tableaux de commande, où
les chirurgiens sont mis en valeur pour leur savoir faire et leur
habileté et où le patient ne sert que d’objet par
l’intermédiaire de son corps souvent inanimé par
l’anesthésie.
Cet art participe à la promotion de la médecine et en
l’occurrence de la chirurgie, permettant à celle-ci de
gagner de la confiance auprès du peuple, qui ne possède
pas d’autres médias.
Enfin l’action en arrive à la prévention : la
vaccination, qui marque le passage à l’acte du
médecin et non plus du chirurgien dans l’art. Par son
action il répand la protection de la vie, comme une nouvelle
religion, un nouveau culte, s’adressant à toute la
population (et non plus seulement à l’élite),
relayés par un média efficace sous forme de peintures, de
cartes postales, premières de gazette servant à la
publicité.
III. Une relation de savoir
Un engouement pour les sciences nouvelles : anatomie, histologie,
physiologie, explique les nombreuses peintures gravitant autour de
l’art médical. [Cabotin1990 p.67]
Ici le médecin se substitue peu à peu à
l’homme d’Eglise, il devient celui qui sait, la parole qui
guérit.
Ce savoir acquis après de longues et onéreuses
études, sert à justifier l’inégalité
qui est perceptible dans la relation médecin malade, au travers
de la majorité des peintures étudiées. Le
modèle paternaliste a longtemps était celui qui
s’imposait. Le praticien est souvent représenté
dans une posture supérieure vis-à-vis de son patient,
comme pour mettre en évidence la supériorité de
son savoir.
Ce savoir se traduit en peinture par une attitude dominatrice
vis-à-vis du patient, un costume souvent opulent, et des
symboles de l’art médical plus ou moins présents en
fonction des époques.
Ces attitudes et attributs influencent la perception que le patient a
de son médecin, et induit souvent « l’effet
placebo ». La seule présence du médecin peut
soulager, et renforcer la confiance dans la thérapeutique
prescrite. C’est ce qu’on pourrait appeler la
représentation du médecin, le rôle qu’il joue
dans cette relation. On constate, dans les œuvres, que les
médecins se préoccupent très souvent de leur
costume, en rapport avec leur statut social élevé, et que
leurs cabinets regorgent souvent de manuels et autres symboles, pour
asseoir leur position de sachant. Ceux-là présentent
parfois une apparence soignée jusqu’au grotesque, à
la limite du dandysme selon certains artistes, qui émettent de
la sorte quelques doutes sur la légitimité de certains
médecins pourtant diplômés.
Ce savoir, comme on le remarque, ne profite pas à tous de
manière équitable et ce sont principalement les nobles ou
les bourgeois qui reçoivent la visite du médecin, ceux
qui peuvent payer et ceux qui peuvent comprendre. Cette
inégalité d’accès aux soins ressort de
l’étude : il existe moins de représentations
de médecins auprès de gens modestes. Nous n’avons
pourtant trouvé aucun tableau mettant en scène la
rétribution du médecin, elle se faisait soit en nature,
soit était différée et réglée sur
une note d’honoraire envoyée aux patients.
La répartition des médecins sur le territoire a, de tout
temps, été inégale, par le fait que la formation
était assurée par les facultés présentes
uniquement dans les grandes villes. La médecine en campagne,
représentée par des barbiers ou des
« officiers de santé », est
considérée comme sous médecine dans la
pensée populaire. Longtemps ceux qui n’ont pas les moyens
iront en dernier recours à l’hôpital, qui assure sa
fonction de charité.
Le savoir du médecin est par nature toujours limité,
puisque l’issue fatale de la vie est inéluctable, pourtant
la médecine se plait parfois à croire en sa toute
puissance, et à en convaincre les patients. La peinture a
aidé à donner cette illusion en représentant des
découvertes médicales et des médecins
glorifiés dans de nombreuses œuvres, souvent des tableaux
de commandes.
Ces limites sont d’abord imposées par la religion, qui ne
cède pas facilement sa place auprès des patients dont
elle s’est longtemps occupée en parallèle avec la
médecine. Elle joue un rôle de soutien relationnel
important et sera longtemps présente auprès des mourants
dans les tableaux. Elles ont été longtemps
corroborées par les Facultés, qui empêchent les
médecins d’avoir un libre arbitre et une liberté de
déplacement.
Les patients investissent de nombreux espoirs dans les
représentants du savoir médical, pour eux, mais encore
plus pour les proches fragiles que sont les enfants. Ces attentes sont
représentées par un médecin attendu,
imploré, elles attirent facilement la compassion devant
l’affaiblissement des enfants par la maladie ou la blessure,
certains artistes ont su le reproduire justement d’autres ont
été accusé d’abuser de ce sentiment. Ce
misérabilisme s’oppose à une attitude
proscientifique.
Enfin le savoir progresse surtout grâce à l’hôpital.
Il est d’abord un lieu d’hospitalité, sans
véritable médecine, où oeuvrent des religieuses,
pour devenir progressivement un lieu de progrès de la science
médicale aux mains de médecins chefs, porteurs d’un
savoir de plus en plus spécialisé. Dans ce nouveau
système, le patient sert d’objet pour la recherche et
l’enseignement du savoir, et obtient en retour
l’assistance. L’apparition de nombreux étudiants et
des leçons cliniques, marque cette évolution. Le patient,
comme outil, est représenté perdu dans des monochromes de
teintes claires, anonyme, entouré de la masse de soignants qui
travaillent à l’hôpital. Les soignants ont
remplacé l’entourage et la compassion de ces nouveaux
membres est naturellement moindre. L’augmentation du nombre de
soignants par la création de l’internat et de
l’externat permettra une présence humaine et une
écoute plus permanente. L’anonymat a toujours
existé à l’hôpital mais est renforcé
par la présence de nombreux soignants étudiant la
pathologie sans tenir compte du patient. Les conditions de pudeur
s’améliorent par des lits séparés, puis
à baldaquin, puis des chambres seules, mais cela
n’empêche pas la déshumanisation qui
transparaît dans les tableaux.
La femme, qui a pourtant toujours joué un rôle dans la
pratique du soin, est éludée des représentations
en tant que médecin.
Le costume traditionnel du médecin s’est transformé
en tenue blanche agrémentée de toute une panoplie
d’instruments plus ou moins techniques. Le
progrès médical et l’introduction de la
technique rassurent le patient, qui espère toujours une plus
grande longévité. Il a donc recours beaucoup plus
volontiers à l’hôpital et à sa technique
auxquels il accorde une plus grande confiance. Mais plus la
médecine deviendra scientifique et technique, plus le
médecin aura un rôle important, de réconfort, de
soulagement, beaucoup souhaitant être écoutés et
soulagés plus que guéris. [Benyones]
De tout temps les médecins ont eu l’occasion de se
détourner de leur patient, par l’uroscopie d’abord,
puis par la place croissante de la technique. On constate cependant que
toutes les attitudes coexistent quelle que soit l’époque,
et donc que la proximité du médecin et de son patient
dépend surtout de l’attitude de celui là et de son
positionnement par rapport à ces examens et surtout par rapport
à son patient.
Dans cette partie comme dans celle des progrès de la chirurgie,
on comprend aisément qu’une place importante soit
accordée aux peintures votives (offert à la gloire
de…), et d’histoire, qui sont presque toujours des
commandes, pour honorer des grandes découvertes ou des
qualités pédagogiques ou humanistes. Ces scènes
sont souvent grandioses afin de magnifier
l’évènement, son ou ses héros, avec une
dimension fortement teintée de politique ou de religion. Les
sentiments sont sacrifiés au profit de la nécessaire
notoriété que doit inspirer la lutte contre la maladie,
conférant à ces tableaux une couleur manichéenne.
On pense ici aux artistes Müller, ou Eakins… Malgré
les qualités indéniables de ces œuvres, elles
reflètent le point de vue restrictif de leurs commanditaires
dont le souci prosélyte était dicté par des
rêves de gloire. Le patient tourmenté par la souffrance
était plutôt représenté comme le support de
toute la puissance du bienfaiteur sur lequel l’attention se
focalise parfois à l’extrême. De fait ces peintures
retracent davantage l’histoire de la médecine que la
relation médecin malade.
Heureusement l’artiste est souvent un individu libre, devant
l’art médical qui demeure humain et temporel, donc
faillible, avec des personnes reprochables, sans être toujours
désintéressées. L’art médical
n’est pas de l’ordre du divin comme certains commanditaires
se plaisaient à le croire. La satire de cette profession a donc
toujours paru pertinente et même finalement utile à ceux
qui l’exercent. Parfois difficile à déceler, la
satire pointe souvent dans la peinture de genre du XVIIe siècle,
nous en avons eu quelques démonstrations, même si nous
avons exclu de cette étude les caricatures flagrantes.
« Peut être la malice spirituelle et perverse, qui
s’exerçait contre les médecins, a-t-elle
hâté quelques changements indispensables dans leur
comportement ; mais la science, par l’apport des
vérités, a sans doute fait davantage. Bientôt
l’on vit plus de simplicité, moins de pompe et de morgue
chez ceux qui savaient mieux que leur prédécesseurs le
pourquoi des maux et le comment de leur
thérapeutique. » [Mondor1966 p.9]
Mots clés
Relation médecin Malade – Art Pictural en Occident - Art médical