- 2° Rencontres - 08 mars 2008 -

2008 - les 2° Rencontres
Présentation
Introduction
Les communications





La représentation de la relation médecin malade du XVIe au début du XXe siècle
Cécile Gineste - Pr Schmitt



Contexte
De nombreux tableaux représentent le médecin et le malade.
Ce thème a inspiré de nombreux peintres, notamment entre le XVIe et le début du XXe siècle.

Objectif
étudier des éléments de la relation médecin malade, dans l’art pictural en Occident du XVIème siècle au début du 20ème siècle.

Moyens et méthode
Analyse d’environ 400 tableaux recensés figurant un médecin et un malade. Quatre éléments principaux de la  relation médecin malade seront étudiés, nous en dégageons trois grandes tendances :
Une relation d’écoute
Une relation de pouvoir
Une relation de savoir
Résultats 
On constate que l’acte médical entre un médecin et son patient y est souvent schématisé, son traitement est, si l’on considère la grande majorité des œuvres, partiel et seules quelques étapes de la relation médecin malade sont représentées. De fait, de très nombreuses représentations sont semblables dans les sujets étudiés, parfois jusque dans la composition, malgré le large panel chronologique étudié. Ces étapes sont sans doute celles qui frappent les esprits, on comprend ainsi que l’accompagnement vers la mort, ou les grandes épidémies soient peints pour exorciser une frayeur de l’artiste et du spectateur.  Tout ce qui touche à la maladie et forcément à la mort revêt, revêtait surtout, aux yeux de bien des humains, un caractère apocalyptique, soit dans la gaieté par la satire, soit dans la terreur ou la désolation « Peut être est-ce la défense naturelle de l’esprit contre les pénibles réalités ? » [Mondor1966 p.12]
Mais des actes comme la prise de pouls, qui reste toujours d’actualité dans la relation médecin malade, ou la mire des urines sont si souvent représentés alors qu’ils ont été supplantés par de nombreux aspects de l’examen clinique, qui semblent tout aussi marquants telle l’auscultation... A croire que la représentation du médecin non dans l’art mais dans la pensée collective n’évolue pas ou peu, ou que les symboles qui le caractérisent se sont perpétués, comme le savoir du médecin à travers l’uroscopie, représentation qui persiste au-delà de sa pratique. Ces représentations répondent-elles à une vision fantasmée de la médecine, de celui qui sait, comme par instinct ou vision divine, sans avoir besoin d’un cheminement scientifique. Est-ce que les artistes ignorent le plus longtemps possible la technicisation de la science à travers ces représentations, car ce n’est pas ce qu’ils attendent ou pensent que le spectateur attend de l’homme de l’Art médical. Le médecin est souhaité avant tout comme un être d’écoute et sa représentation se plie à cette attente. La prise de pouls serait alors présente juste pour identifier le médecin rapidement, sans avoir à déployer tous les autres symboles du savoir médical. Mais elle serait un temps d’écoute et de réconfort cher à celui qui n’est pas médecin. La satire dénonce souvent une inhumaine froideur de l’homme de l’Art face à la souffrance, voire presque un côté sadique et parfois une incompréhension, par manque d’écoute le plus souvent. La mire des urines représenterait le savoir, le médecin est alors celui qui rassure, par ce savoir.
Une fois l’identification du médecin assurée, celle du patient est d’autant plus simple. Mais le cheminement du spectateur observant les tableaux ne se fait pas forcément dans cet ordre chronologique, car concernant le patient, si sa maladie n’est que rarement identifiable, son statut est évident et sa place est souvent centrale. La représentation s’intéresse plus au malade qu’à l’action du médecin. Ce dernier est présent dans les tableaux pour soutenir, entourer son patient et appuyer son statut de malade. Ce qui semble définir son art. Il arrive d’ailleurs que le patient soit l’artiste lui-même comme Goya ou Munch, ces tableaux sont alors soit des gestes de gratitude soit l’expression d’une souffrance en présence du médecin.
Il existe des évolutions que nous avons essayé de mettre en évidence : par exemple la disparition de la présence religieuse dans le soin, au profit d’une technique croissante de l’acte médical jusque dans l’exploration du corps de l’autre. La peinture académique s’est emparée du genre, de même que les tableaux de commande. Il arrive ici aussi que le médecin lui-même, comme Chicotot, se mette en scène : ce geste qui pourrait paraître immodeste, se veut un témoignage de l’évolution de la science, et il l’auteur oublie alors l’aspect humain de la médecine.
Nous constatons qu’il existe deux périodes fastes pour la représentation des médecins auprès de leurs patients qui sont :
le XVIIe siècle avec la peinture de genre du Nord, à une époque où les sujets choisis par les peintres ne sont plus seulement religieux, mais davantage profane. Il succède à la Renaissance où le baroque et le classicisme sont associés à l’humanisme, où la priorité est donnée à l’humain, à l’être faible, dans une forme de lyrisme intime ou violent qui peut tout dire de notre condition. Les commanditaires en Hollande y sont exigeants et demandent à l’art de rivaliser avec le réel et de le remplacer, même s’il est souvent filtré à travers la lentille de la sensibilité morale. On peut ajouter une lecture iconologique de ces tableaux, où l’amour et la mort sont le plus souvent signifiés. [Lévi2004 p.191] Au XVIIe siècle, la peinture du Nord est plus présente dans cette étude, Michel Ange opposait alors « la peinture flamande, qui se soucie avant tout de conformité  aux valeurs morales ou de fidélité dans la représentation du réel, à la peinture italienne qui se soumet aux seules exigences du beau » [Todorov1993 p.20]
le XIXe siècle, avec la Restauration, et le traumatisme causé par la Révolution, où le Romantisme naît et se prolonge durant la première moitié du siècle. Il est le siècle de la naissance de l’individualisme, avec une attention portée à la subjectivité, au for intérieur. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, se développent les courants réaliste et naturaliste qui s’orientent sur une retranscription extrêmement fidèle, et détaillée de la réalité. A la fin du XIXe, puis au début du XXe siècle, l’impressionnisme et le fauvisme contribuent à libérer la pratique du peintre. L’ambition de l’impressionnisme est de retranscrire avant tout les lumières, les ambiances colorées, les atmosphères. L’attention portée à la subjectivité connaîtra son apogée avec l’expressionnisme. De plus, le tournant majeur qu’a pris la médecine à la fin du XVIIIe siècle, a dû inspirer les artistes, qui tantôt mettent leur art au service de la médecine exerçant un prosélytisme scientifique, tantôt veulent exprimer leur ressenti par rapport à cette médecine nouvelle. Les grands médecins tels que les nouveaux chirurgiens et les psychiatres, mais aussi l’Etat profitent de cette interrelation entre l’art et la médecine au XIXe siècle pour magnifier leur image et celle de cette médecine.
Malades et médecins intéressent les artistes quelles que soient les écoles auxquelles on peut les rattacher, et indépendamment de leur style personnel. Ils ont en commun une pulsion vers le « réalisme », vers la représentation de la nature telle qu’elle peut être perçue par l’œil de l’observateur. [Levy2004 p.3] De plus, on porte un intérêt croissant au corps. L’aspect triomphant des études anatomiques dont le fleuron demeure l’ouvrage de Vesale « De humani corporis fabrica libri septem » datant de 1543, a marqué le XVIe siècle, début de la période étudiée. L’étude du corps a passionné les esprits pendant toute la période.
On a parfois reproché aux artistes de tenter de trop apitoyer les spectateurs par une complaisance misérabiliste, ou d’attirer trop de compassion en particulier au XIXe siècle avec les enfants blessés ou malades.
Il est bien entendu que c’est l’image non pas du médecin et de son patient, mais des médecins et de leurs patients que nous avons découverte sur ces toiles, autant de vies différentes que de vocations diverses, [Harse1999 p.433] des médecins dans des situations semblables, avec des attitudes très différentes auprès de leurs patients.

L’interprétation des tableaux, quand on ne peut l’appuyer sur un livret de salon ou autre notice explicative, reste subjective, on peut lui faire dire ce que l’on veut. Nous avons tenté, avec des bases d’histoire de la médecine, de contextualiser les tableaux et ainsi de comprendre au mieux leur objet.

Nous tentons de synthétiser ci –après l’analyse de ces différents tableaux.

I. Une relation d’écoute
Le médecin laisse d’abord au patient la place d’exprimer ses souffrances, on n’a recensé que très peu d’interrogatoires bruts, mais beaucoup d’examens cliniques sommaires tenaient lieu d’écoute. Ces situations ne génèrent pas trop de parasites pour une communication entre le médecin et son patient, et elles permettent surtout au spectateur d’identifier rapidement les personnages.
Le patient est souvent une jeune femme lorsqu’il s’agit de maladie, et un homme parfois vieux dans les cas d’opérations chirurgicales. La femme est celle qui est plus fragile et peut être plus à l’écoute de sa santé. L’homme, appartenant au sexe fort dans la pensée collective, ne faiblit que s’il lui arrive un accident, des forces extérieures qu’ils ne maîtrisent pas ; il ne cède pas aux défaillances du mal d’amour par exemple. De plus, pour des raisons de pudeur, peut être, on dénude plus facilement le corps de l’homme pour les interventions chirurgicales.
Les enfants apparaissent avec la prise de conscience de leur force pour la nation au XIXe siècle et sont souvent utilisés pour attirer la compassion auprès des spectateurs, les enfants malades ou blessés même mortellement sont alors représentés.
La présence de l’entourage est souvent utilisée par l’artiste pour expliquer la maladie ou pour appuyer une sensation, celle de drame avec des accompagnants éplorés ou celle de l’anxiété, ou celle l’imminence de la mort suggérée par certaines silhouettes. Le colloque singulier n’était, de fait, que peu respecté, une des raisons principales est que la visite à domicile est fréquente et donc présence de la famille difficilement évitable. Mais même au cabinet des chirurgiens, des commères ou des membres de la famille accompagnent le malade. L’entourage symbolise aussi la pulsion scopique en chirurgie, le spectateur se retrouve dans le tableau sous la forme d’un ou une commère. Il peut également illustrer la compassion de l’artiste et du spectateur et par conséquent une volonté de soutien, de réconfort par une présence.
La pathologie est rarement identifiable, comme si toutes les maladies équivalaient à une seule souffrance, celle dans laquelle le spectateur peut s’identifier, celle qui l’effraie. Elle se résume en une perte d’autonomie par une asthénie majeure. La maladie, quand elle est identifiable, est rarement effroyable, elle par exemple la maladie d’amour dans les peintures de genre. Ce style s’est emparé de la vie quotidienne où la maladie et donc la médecine trouvent aisément leur place à côté des kermesses, danses villageoises, des intérieurs calmes et paisibles où se déroulent chaque jour les mêmes incidents.
La souffrance psychique peut être représentée souvent lors de l’approche de la mort, quand la maladie est sérieuse, ou par l’entourage qui montre de l’inquiétude ou de l’angoisse. Sinon le malade est parfois souriant, pour des maladies avec peu de gravité comme la maladie d’amour. La souffrance physique, ou douleur est souvent provoquée par le médecin, plus exactement le chirurgien, par son action sensée être thérapeutique. Cette douleur, comme l’agonie, déforme souvent les visages des patients.
Les épidémies voient plus la présence de l’armée ou de visites officielles que de médecins au chevet des patients. Dans ces circonstances, ceux-là paraissent sans grande efficacité, mais leur dévouement en ressort d’autant plus glorieux. L’épidémie de choléra présente des médecins, ceux-là mêmes qui étaient accusés d’empoisonnement.
L’examen clinique est très succinct dans les représentations (le médecin ne disposa pour celui-ci que de ses organes des sens jusqu’au XIXe siècle) très marquées par la symbolique de ce qu’est le médecin : prise de pouls et uroscopie, largement plus fréquents que les autres examens.
La prise de pouls permet de créer un contact entre les deux personnages par la main, un des attributs du corps les plus individuels après le visage, permettant ainsi à l’artiste de donner une intention à chacun et de se positionner ainsi dans la relation. Cette main permettra, aussi, d’évoquer un diagnostic, d’être le prolongement de la pensée du médecin.
L’imagination du peuple a été tellement frappée par l’importance que les médecins accordaient à l’examen des urines, que l’art est souvent tombé dans l’excès de sa représentation. Ce modeste ustensile qu’est l’urinal eut un rôle essentiel jusqu’au XVIIIe siècle dans la représentation des scènes médicales.
La peinture de la nudité dans les représentations médicales évolue au cours de la période étudiée, en même temps que la représentation du corps dans la pensée scientifique et populaire. La théorie des humeurs l’affirme, tout ce que le corps produit est  impur, par conséquent on le cache. Les mentalités changent, on soumet alors le corps à toutes sortes d’explorations, qui permettent de découvrir ce qu’il recèle à l’intérieur. Et la physiopathologie permettra de rattacher les maladies à des parties du corps. Celui-ci se dépersonnalise au fur et à mesure que la science progresse, la nudité choque alors moins et le corps humain souvent morcelé par le progrès peut être montré. Mais il n’appartient plus vraiment au patient, il devient l’objet de la science. Il n’est plus de cette façon un sujet de pudeur.
La distance entre les deux personnages est en partie imposée par les limites de la bienséance, mais également par la personnalité du médecin, et à un moindre degré par celle du patient. Le modèle paternaliste qui prévalut longtemps, est souvent présent dans les tableaux. Il arrive pour autant que la distance puisse être adaptée à un climat de confiance, celui qui permet au colloque singulier de s’établir. Et l’on remarque que malgré un modèle paternaliste prédominant, l’empathie transparaît dans certaines peintures, par une douceur sur le visage du médecin et dans ses gestes. Il se met à l’écoute physiquement. Il n’évite pas le regard de son patient, il n’a pas peur d’entendre ses plaintes et semble prendre le temps pour cela. Il s’assoit ou se met à la hauteur du patient, l’artiste essaie peut être de signifier ainsi qu’il s’adapte au niveau de compréhension du patient, en acceptant de rabaisser la manifestation de son savoir.

L’annonce diagnostique qui suit cet examen clinique, est une partie importante voire décisive de la relation. Le patient doit être éclairé, informé, mais le médecin doit respecter son patient et tenir compte de ce qu’il est capable d’entendre. Le médecin s’élève dans ces scènes au rôle  de découvreur du quotidien, grâce à son bagage scientifique, on lui attribue ce pouvoir quasi divin d’une vue presque extralucide de deviner l’avenir de son patient par son diagnostic et le pronostic qui en découle. Il peut aussi être celui qui doit annoncer la mauvaise nouvelle, on voit alors un médecin discret, presque inexistant, comme celui qui est incapable ou refuse d’affronter ce qu’il considère comme un échec. L’annonce diagnostique est représentée dans deux aspects diamétralement opposés, celui où la médecine est grandie par sa découverte, et celui où elle brise l’espoir qu’elle est censée fournir par sa présence.
L’accompagnement du patient par le médecin est une partie riche de cette relation. Le médecin est souvent représenté au chevet d’un patient agonisant. Le médecin était-il souvent auprès de ses patients jusqu’à leur mort ? Ces images sont des images fortes, parlant à l’inconscient collectif. D’abord par l’image de la mort qui effraie chaque spectateur. Ensuite la fin de vie et l’agonie révèlent tout le dévouement, la compassion et l’humanité des médecins par leur accompagnement jusqu’aux derniers instants, laissant alors souvent sa science de côté (aucun symbole ou instrument de celle-ci n’est présent). Les sentiments qui se dégagent de ces scènes peuvent être partagées, allant de l’impuissance à la compassion. Des artistes appartenant aux mouvements romantiques ou expressionnistes ont été inspirés par les scènes de ce genre.

II. Une relation de pouvoir
L’action est un mode de représentation du médecin auprès de son patient qui a beaucoup séduit les artistes, comme si elle rehaussait son rôle. Effectivement il existe de nombreuses représentations de ses actes souvent thérapeutiques et parfois préventifs. Pourtant la chirurgie, et tout ce qui touche le corps, sont, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, des métiers jugés avilissants par les médecins. Cette étape de la relation qu’est l’action, pourrait être la partie visible de la médecine, et surtout sa finalité, en représentant celui qui lutte contre l’issue fatale de la vie. Comme si les artistes et les spectateurs se plaisaient à croire qu’il existe des moyens pour combattre leurs peurs et leurs angoisses, et souhaitaient s’en convaincre par la représentation.
Cette action n’est pourtant pas anodine, elle génère souvent de la douleur et l’on peut voir l’appréhension de cette douleur, chez certain patient.

On peut observer la nouvelle passion pour la technique dans les actes diagnostiques médicaux et paramédicaux, par l’apparition d’une instrumentalisation, écran s’interposant entre le médecin et le patient.

La prescription qui résume souvent l’acte thérapeutique du médecin, est représentée plusieurs fois, le praticien se tenant au coté du patient, finalisant cette consultation. Comme une conclusion, pour laquelle le médecin s’assoit le plus souvent, prend plus de temps ? Elle est, avec le diagnostic, le moment où le médecin peut asseoir son savoir, même si elle n’est pas souvent surprenante car les traitements sont souvent identiques. Le plus souvent le traitement sera ensuite attribué par un apothicaire ou pharmacien, ou exécuté par le chirurgien.
Comme nous l’avons évoqué, la présence du médecin peut parfois suffire, et les nombreux tableaux où le médecin est présent auprès de son malade, le réconforte parfois en lui prenant la main, et où le patient n’exprime plus aucun symptôme, pourraient en être la preuve.
Les médicaments sont présents sous forme de médications orales, en verre,  bouteille, mortier dans lequel on pile les futurs médicaments pendant la consultation, dans de nombreux tableaux. Ils représentent au-delà de l’effet placebo, le lien permanent entre le médecin et le patient, mais souvent discrets, ils ne sont pas le centre d’intérêt des œuvres, comme si, dans la pensée des artistes et des spectateurs, la relation primait sur la médication.
Les chirurgiens sont eux quasiment toujours représentés dans l’acte, contrairement aux médecins, comme si l’acte chirurgical résumait leur rôle et que l’interrogatoire ou l’examen clinique ne faisaient pas parti de leur fonction. Ils sont longtemps les seuls à toucher le corps, exerçant un « Art mécanique ». Un bémol à noter ici, c’est que la différenciation du médecin et du chirurgien pourtant longtemps marquée par l’enseignement, n’est pas toujours évidente à l’œil du spectateur non averti.
Les chirurgiens ont souvent effectué au début de la période étudiée tous les actes prescrits de la saignée et la purge, à l’acte de petite chirurgie, avec des interventions principalement sur le dos et le pied, pour éviter de trop dénuder les corps ?
La représentation de la petite chirurgie est à son apogée dans la peinture du Nord du XVIIe siècle, les compositions sont souvent similaires, les expressions des personnages plus ou moins authentiques en fonction de l’intention satirique ou non de l’artiste.
Des interventions que l’on n’imaginerait pas exister avant la pratique de l’anesthésie comme l’amputation, la trépanation, la chirurgie ophtalmologique, les cures de hernies, sont pourtant présentées comme support d’enseignement dans les manuels de chirurgie. Ils étaient certainement destinés aux chirurgiens de robe longue, habit que l’on ne voit pourtant pas apparaître dans les peintures. Leur présence quasi exclusive dans les manuels, prouve la rareté de leur pratique en réalité. La qualité didactique de ces lithographies enlève de l’authenticité à la retranscription de la relation médecin malade. Mise au service de la technique, ces représentations se concentrent sur l’acte chirurgical. A noter que le patient demeure représenté entièrement.
Puis le progrès technique engendre une accentuation de la nécessaire déshumanisation de la relation chirurgien patient, en même temps qu’une confiance croissante, avec un plus grand recours à la chirurgie grâce à l’asepsie et l’anesthésie. Les patients sont représentés par des corps morcelés, inanimés, sur lesquels des chirurgiens et toute une équipe médicale interviennent et apprennent, jusque dans des amphithéâtres de chirurgie où l’assistance rappelle celle des célèbres leçons d’anatomie.
Les chirurgiens sont alors présents dans quelques visites post opératoires au chevet du patient, comme pour rehausser la chirurgie au niveau de la médecine, statut acquis depuis peu dans les esprits, et surtout pour faire valoir le résultat de leur action. Ce sont principalement des tableaux de commande, où les chirurgiens sont mis en valeur pour leur savoir faire et leur habileté et où le patient ne sert que d’objet par l’intermédiaire de son corps souvent inanimé par l’anesthésie.
Cet art participe à la promotion de la médecine et en l’occurrence de la chirurgie, permettant à celle-ci de gagner de la confiance auprès du peuple, qui ne possède pas d’autres médias.
Enfin l’action en arrive à la prévention : la vaccination, qui marque le passage à l’acte du médecin et non plus du chirurgien dans l’art. Par son action il répand la protection de la vie, comme une nouvelle religion, un nouveau culte, s’adressant à toute la population (et non plus seulement à l’élite), relayés par un média efficace sous forme de peintures, de cartes postales, premières de gazette servant à la publicité.

III. Une relation de savoir
Un engouement pour les sciences nouvelles : anatomie, histologie, physiologie, explique les nombreuses peintures gravitant autour de l’art médical. [Cabotin1990 p.67]
Ici le médecin se substitue peu à peu à l’homme d’Eglise, il devient celui qui sait, la parole qui guérit.
Ce savoir acquis après de longues et onéreuses études, sert à justifier l’inégalité qui est perceptible dans la relation médecin malade, au travers de la majorité des peintures étudiées. Le modèle paternaliste a longtemps était celui qui s’imposait. Le praticien est souvent représenté dans une posture supérieure vis-à-vis de son patient, comme pour mettre en évidence la supériorité de son savoir.

Ce savoir se traduit en peinture par une attitude dominatrice vis-à-vis du patient, un costume souvent opulent, et des symboles de l’art médical plus ou moins présents en fonction des époques.
Ces attitudes et attributs influencent la perception que le patient a de son médecin, et induit souvent « l’effet placebo ». La seule présence du médecin peut soulager, et renforcer la confiance dans la thérapeutique prescrite. C’est ce qu’on pourrait appeler la représentation du médecin, le rôle qu’il joue dans cette relation. On constate, dans les œuvres, que les médecins se préoccupent très souvent de leur costume, en rapport avec leur statut social élevé, et que leurs cabinets regorgent souvent de manuels et autres symboles, pour asseoir leur position de sachant. Ceux-là présentent parfois une apparence soignée jusqu’au grotesque, à la limite du dandysme selon certains artistes, qui émettent de la sorte quelques doutes sur la légitimité de certains médecins pourtant diplômés.
Ce savoir, comme on le remarque, ne profite pas à tous de manière équitable et ce sont principalement les nobles ou les bourgeois qui reçoivent la visite du médecin, ceux qui peuvent payer et ceux qui peuvent comprendre. Cette inégalité d’accès aux soins ressort de l’étude : il existe moins de représentations de médecins auprès de gens modestes. Nous n’avons pourtant trouvé aucun tableau mettant en scène la rétribution du médecin, elle se faisait soit en nature, soit était différée et réglée sur une note d’honoraire envoyée aux patients.
La répartition des médecins sur le territoire a, de tout temps, été inégale, par le fait que la formation était assurée par les facultés présentes uniquement dans les grandes villes. La médecine en campagne, représentée par des barbiers ou des « officiers de santé », est considérée comme sous médecine dans la pensée populaire. Longtemps ceux qui n’ont pas les moyens iront en dernier recours à l’hôpital, qui assure sa fonction de charité.
Le savoir du médecin est par nature toujours limité, puisque l’issue fatale de la vie est inéluctable, pourtant la médecine se plait parfois à croire en sa toute puissance, et à en convaincre les patients. La peinture a aidé à donner cette illusion en représentant des découvertes médicales et des médecins glorifiés dans de nombreuses œuvres, souvent des tableaux de commandes.
Ces limites sont d’abord imposées par la religion, qui ne cède pas facilement sa place auprès des patients dont elle s’est longtemps occupée en parallèle avec la médecine. Elle joue un rôle de soutien relationnel important et sera longtemps présente auprès des mourants dans les tableaux. Elles ont été longtemps corroborées par les Facultés, qui empêchent les médecins d’avoir un libre arbitre et une liberté de déplacement.

Les patients investissent de nombreux espoirs dans les représentants du savoir médical, pour eux, mais encore plus pour les proches fragiles que sont les enfants. Ces attentes sont représentées par un médecin attendu, imploré, elles attirent facilement la compassion devant l’affaiblissement des enfants par la maladie ou la blessure, certains artistes ont su le reproduire justement d’autres ont été accusé d’abuser de ce sentiment. Ce misérabilisme s’oppose à une attitude proscientifique.

Enfin le savoir progresse surtout grâce à l’hôpital.
Il est d’abord un lieu d’hospitalité, sans véritable médecine, où oeuvrent des religieuses, pour devenir progressivement un lieu de progrès de la science médicale aux mains de médecins chefs, porteurs d’un savoir de plus en plus spécialisé. Dans ce nouveau système, le patient sert d’objet pour la recherche et l’enseignement du savoir, et obtient en retour l’assistance. L’apparition de nombreux étudiants et des leçons cliniques, marque cette évolution. Le patient, comme outil, est représenté perdu dans des monochromes de teintes claires, anonyme, entouré de la masse de soignants qui travaillent à l’hôpital. Les soignants ont remplacé l’entourage et la compassion de ces nouveaux membres est naturellement moindre. L’augmentation du nombre de soignants par la création de l’internat et de l’externat permettra une présence humaine et une écoute plus permanente. L’anonymat a toujours existé à l’hôpital mais est renforcé par la présence de nombreux soignants étudiant la pathologie sans tenir compte du patient. Les conditions de pudeur s’améliorent par des lits séparés, puis à baldaquin, puis des chambres seules, mais cela n’empêche  pas la déshumanisation qui transparaît dans les tableaux.
La femme, qui a pourtant toujours joué un rôle dans la pratique du soin, est éludée des représentations en tant que médecin.
Le costume traditionnel du médecin s’est transformé en tenue blanche agrémentée de toute une panoplie d’instruments plus ou moins techniques. Le progrès médical et l’introduction de la technique rassurent le patient, qui espère toujours une plus grande longévité. Il a donc recours beaucoup plus volontiers à l’hôpital et à sa technique auxquels il accorde une plus grande confiance. Mais plus la médecine deviendra scientifique et technique, plus le médecin aura un rôle important, de réconfort, de soulagement, beaucoup souhaitant être écoutés et soulagés plus que guéris. [Benyones]
De tout temps les médecins ont eu l’occasion de se détourner de leur patient, par l’uroscopie d’abord, puis par la place croissante de la technique. On constate cependant que toutes les attitudes coexistent quelle que soit l’époque, et donc que la proximité du médecin et de son patient dépend surtout de l’attitude de celui là et de son positionnement par rapport à ces examens et surtout par rapport à son patient.
Dans cette partie comme dans celle des progrès de la chirurgie, on comprend aisément qu’une place importante soit accordée aux  peintures votives (offert à la gloire de…), et d’histoire, qui sont presque toujours des commandes, pour honorer des grandes découvertes ou des qualités pédagogiques ou humanistes. Ces scènes sont souvent grandioses afin de magnifier l’évènement, son ou ses héros, avec une dimension fortement teintée de politique ou de religion. Les sentiments sont sacrifiés au profit de la nécessaire notoriété que doit inspirer la lutte contre la maladie, conférant à ces tableaux une couleur manichéenne. On pense ici aux artistes Müller, ou Eakins… Malgré les qualités indéniables de ces œuvres, elles reflètent le point de vue restrictif de leurs commanditaires dont le souci prosélyte était dicté par des rêves de gloire. Le patient tourmenté par la souffrance était plutôt représenté comme le support de toute la puissance du bienfaiteur sur lequel l’attention se focalise parfois à l’extrême. De fait ces peintures retracent davantage l’histoire de la médecine que la relation médecin malade.
Heureusement l’artiste est souvent un individu libre, devant l’art médical qui demeure humain et temporel, donc faillible, avec des personnes reprochables, sans être toujours désintéressées. L’art médical n’est pas de l’ordre du divin comme certains commanditaires se plaisaient à le croire. La satire de cette profession a donc toujours paru pertinente et même finalement utile à ceux qui l’exercent. Parfois difficile à déceler, la satire pointe souvent dans la peinture de genre du XVIIe siècle, nous en avons eu quelques démonstrations, même si nous avons exclu de cette étude les caricatures flagrantes. « Peut être la malice spirituelle et perverse, qui s’exerçait contre les médecins, a-t-elle hâté quelques changements indispensables dans leur comportement ; mais la science, par l’apport des vérités, a sans doute fait davantage.  Bientôt l’on vit plus de simplicité, moins de pompe et de morgue chez ceux qui savaient mieux que leur prédécesseurs le pourquoi des maux et le comment de leur thérapeutique. » [Mondor1966 p.9]

Mots clés
Relation médecin  Malade – Art Pictural en Occident - Art médical 


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