PLACE DU MILLEPERTUIS DANS LE TRAITEMENT DE LA DEPRESSION
Dr Anne Sophie Lacoste – Pr Marc Vidal
Contexte
Selon l’OMS en 2020 la dépression constituera la
deuxième cause d’handicap dans les pays
développés après les maladies cardio-vasculaires.
Le millepertuis ou Hypericum Perforatum a obtenu l’AMM en 2002
pour la prise en charge des manifestations dépressives
légères à modérées. Cette plante a
démontré lors d’essais cliniques comparatifs une
efficacité semblable à celle
d’antidépresseurs de synthèse avec moins
d’effets indésirables.
Objectif
Le but de notre enquête est de clarifier la démarche
diagnostique du praticien, de connaître ses thérapies de
choix et son utilisation ou non du millepertuis.
Méthode
Une étude rétrospective anonyme a
été menée en 2006 auprès de 300
médecins tirés au sort en
Midi-Pyrénées : généralistes,
psychiatres et homéopathes. Le recueil des données des 91
questionnaires retournés ainsi que leur étude ont
été menés manuellement.
Résultats
L’enquête montre que un tiers des
consultations traitent des troubles dépressifs mineurs. Pour la
grande majorité des praticiens l’évaluation de la
gravité d’une dépression est ardue, elle se base
sur l’évocation de la mort et non sur l’utilisation
d’échelles d’évaluation.
La psychothérapie de soutien apparaît comme leur
traitement de référence devant
l’homéopathie, l’exercice physique,
l’oligothérapie, l’allopathie et la relaxation.
La totalité des homéopathes déclare prescrire du
millepertuis contre environs un tiers des généralistes et
des psychiatres.
Discussion
Son action d’inducteur enzymatique sur le cytochrome
P450 et son non remboursement apparaissent comme les principaux freins
à sa prescription.
Face à une pathologie à prévalence croissante, le
millepertuis est une alternative aux antidépresseurs, efficace
et bien toléré s’il est employé seul ou en
évitant tout risque d’interaction médicamenteuse.
Mots clés
Dépression – Millepertuis – Médecine générale – Inducteur enzymatique.
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La dépression représente la plus fréquente des maladies psychiatriques.
Majoritairement diagnostiquée et traitée par les
médecins généralistes cette pathologie peut se
manifester sous des degrés de sévérité plus
ou moins grave. Les formes « légères,
modérées et transitoires » sont
peut-être les plus difficiles à diagnostiquer et à
traiter. Compte tenu de l’hésitation à recourir
à des traitements conventionnels comme les
antidépresseurs non dénuées d’effets
indésirables, il est intéressant de questionner divers
praticiens sur leurs démarches diagnostique et
thérapeutique. Une plante, le millepertuis ou Hypericum
Perforatum, connue depuis l’Antiquité, a été
utilisée comme antibactérien, anti-inflammatoire et
vasculotrope pour traiter brûlures et plaies, puis comme
antidépresseur dans les dépressions légères
à modérées.
Le but de notre enquête nommée « Prise en
charge des manifestations légères de la
dépression » permet de dévoiler les
démarches diagnostiques et thérapeutiques de divers
praticiens mais aussi de nous éclairer sur leur usage ou non du
millepertuis.
Ce questionnaire confidentiel et anonyme a été adressé
par courrier en juin 2006 à 300 praticiens
sélectionnés de manière aléatoire en
Midi-Pyrénées. Compte tenu de la prise en charge
pluridisciplinaire des dépressions légères
l’enquête a été adressée à des
médecins généralistes, psychiatres et
homéopathes. Le questionnaire comprenait 12 items traitant
successivement des manifestations dépressives
légères et de l’utilisation du millepertuis dans
cette indication.
L’enquête comportait d’emblée de nombreux
biais et limites. L’étude ne pouvait s’adresser
qu’à un nombre restreint de médecins.
L’enquête rétrospective reposait sur le sentiment du
médecin sur sa précision à remplir le
questionnaire et sur son intérêt pour une thérapie
particulière, le millepertuis.
Le taux de réponse
à cette enquête s’est élevé à
30,3%, avec une forte prédominance de médecins
homéopathes. Par contre pour la majorité des praticiens
la proportion des patients souffrant de dépression
légère représente moins d’un tiers des
consultations. 60% des praticiens éprouvent des
difficultés à évaluer la gravité
d’une dépression et dans leur grande majorité ils
n’utilisent pas d’échelle d’évaluation
de la dépression. Seuls les psychiatres usent des plus
courantes : HAM-D et MADRS.
L’absence de pensée de mort récurrente
associée à une humeur dépressive ou une perte
d’intérêt et de plaisir évoque pour une
majorité de praticiens une dépression mineure.
La psychothérapie de soutien
apparaît comme le traitement de référence des
médecins. En deuxième intention, l’allopathie fait
partie de la plupart des traitements des généralistes et
des psychiatres alors que les homéopathes sont de fervents
spécialistes dans leur domaine et privilégient
l’homéopathie.
En général les patients sont dans l’attente
d’un traitement médicamenteux qu’il soit un
antidépresseur ou de l’homéopathie. Dans un second
temps les patients s’orientent vers la psychothérapie de
soutien et de relaxation.
Les homéopathes à 94,7% déclarent prescrire du
millepertuis contre environs un tiers des généralistes et
des psychiatres. Les questions concernant la prescription du
millepertuis ont beaucoup moins intéressées les
généralistes et les psychiatres dont les taux
d’abstention peuvent s’échelonner de 20 à
77%. Seulement ¼ des psychiatres recommandent l’usage du
millepertuis dans les manifestations légères de la
dépression contre presque la moitié des
généralistes et la totalité des
homéopathes. Ces derniers le préconisent dans les
manifestations dépressives saisonnières, le sevrage aux
antidépresseurs et l’anxiété.
La plupart du temps, le traitement est instauré sous forme de
comprimés, le patient est revu dans les 15 jours suivants, puis
mensuellement si son état clinique est stable. Le traitement
prend fin au bout de 3 à 6 mois minimum.
Tous les médecins prennent en compte les nombreuses interactions
médicamenteuses qui existent avec le millepertuis, dont celle
d’inducteur enzymatique du cytochrome P450. Contrairement aux
homéopathes, la plupart des généralistes et des
psychiatres se sentent gênés dans leur prescription
à cause de cet effet secondaire.
Le non remboursement du millepertuis semble être parfois un frein à sa prescription.
Nous pouvons constater
que la dépression fait partie intégrante d’un
problème de santé publique de haute importance
compte tenu de sa forte prévalence dans toute discipline
confondue. Par contre l’enquête nous révèle
que tous les praticiens éprouvent des difficultés pour
quantifier la dépression. Les critères de diagnostic ont
été bien codifiés par les échelles CIM-10
(10e Classification Internationale de Maladies) et DSM-IV (Diagnostic
and Statistical Manuel of Mental disorders). Selon le DSM-IV, le nombre
de symptômes minimum et nécessaire est de 5 pour parler de
dépression même mineure et l’épisode est
qualifié de léger lorsqu’il y a peu ou pas de
symptômes supplémentaires. Sans une évaluation
chiffrée le diagnostic repose sur l’entière
appréciation du praticien. Seuls les psychiatres utilisent
couramment des échelles d’évaluation de la
dépression. On peut aussi constater que tous les symptômes
ne sont pas forcément pondérables. L’abord
psychique d’un patient demande beaucoup de partialité mais
aussi une capacité à dédouaner tous les signes
cliniques masqués. Des symptômes somatiques peuvent
prendre le pied sur les désordres psychiques.
Pour une grande majorité des médecins questionnés,
la gravité d’une dépression repose sur la
présence de « pensées de mort
récurrentes, avec humeur dépressive ou perte
d’intérêt et de plaisir ». Ce fait peut
souligner un critère diagnostique majeur capable de guider le
médecin dans son choix thérapeutique. Qu’il soit
une simple pensée, une tentative ou un passage à
l’acte suicidaire, le médecin doit en considérer
toute la gravité. Dans ces cas là, l’ANAES (Agence
nationale d’accréditation et d’évaluation en
santé) recommande l’utilisation indispensable
d’antidépresseur, associé ou non à une
hospitalisation.
Concernant un
épisode dépressif léger l’ANAES
préconise en première intention la psychothérapie.
Un antidépresseur pourra être possible mais
l’association n’a pas fait preuve d’une meilleure
efficacité. L’enquête nous a bien
dévoilé cette ambiguïté. Même
s’il est évident que pour la plupart des médecins,
la prise en charge d’une dépression légère
repose avant tout sur une psychothérapie de soutien, propre
à soutenir et à réassurer le patient par le biais
d’un dialogue. L’association à de l’allopathie
est souvent de mise pour les généralistes et les
psychiatres. De leur coté, les patients réclament plus
facilement un traitement homéopathique ou allopathique. Le
pouvoir indéniable des antidépresseurs, connu du grand
public a pour effet d’attirer les patients. Ce pouvoir attractif
du à l’action chimique des psychotropes a pour effet de
soulager rapidement, d’éclairer les esprits sans grand
effort, telle une pilule du « bonheur ».
Avant tout, l’enquête nous dévoile la
pluralité des prescriptions et des prises en charge des
manifestations légères de la dépression. Plusieurs
thérapies comme la nutrition, l’exercice physique, la
musicothérapie concourent au bien être du patient. On peut
aussi s’attarder sur l’usage de l’acupuncture, de la
sophrologie ou de diverses psychothérapies propres à
modifier le psychisme du patient. Ainsi, on s’éloigne peu
de la définition de la santé par l’OMS
« état complet de bien-être physique,
psychologique et social ».
Dans notre enquête , le choix d’une thérapie
particulière s’est portée sur le millepertuis qui
depuis les années 80 a prouvé son efficacité dans
les dépressions légères lors d’études
menées versus placebo mais aussi versus antidépresseurs
tels que :imipramine (Tofranil®), maprotiline (Ludiomil®),
amitryptiline (Laroxyl®), paroxetine (Deroxat®), fluoxetine
(Prozac®). Dans toutes ces études le millepertuis obtient
une efficacité similaire aux antidépresseurs avec
beaucoup moins d’effets secondaires. Le millepertuis puise son
action antidépressive en augmentant la transmission aminergique
par inhibition de la monoamine oxydase et par inhibition non
spécifique de la noradrénaline, de la sérotonine
et de la dopamine. Malgré tout, cette thérapie semble
bien peu prescrite par les généralistes et les
psychiatres. Ce médicament en vente libre (contrairement
à l’Allemagne) n’est pas sous la jouissance du
praticien, celui-ci ne peut contrôler sa valeur
thérapeutique, son efficacité. De plus toutes les
études menées sur le millepertuis se sont
étalées sur de courtes durées, pas plus de 6
semaines. Même si le millepertuis a obtenu son AMM en 2002, son
mécanisme d’action dans la dépression n’a pas
été totalement élucidé, il est donc
difficile de se vouer entièrement à son utilisation.
Par contre, un des effets les mieux connus et appréhendé du millepertuis
est son action d’inducteur enzymatique sur le cytochrome P450.
L’étude a pu dévoiler que les
généralistes et les psychiatres se sentent plus
freinés par son action d’inducteur enzymatique que par son
non remboursement. En effet, le millepertuis a pour effet secondaire de
diminuer l’efficacité des médicaments essentiels
comme les antivitamines K, la ciclosporine, les antirétroviraux
et les anticonvulsivants. L’innocuité de ce traitement se
révèle d’autant plus valable que le millepertuis
est employé seul chez un patient souffrant de manifestations
dépressives légères. Par contre pour un patient
polypathologique ou simplement âgé son utilisation semble
vite restreinte.
Par ailleurs, même si la plupart des praticiens ne se sentent
plutôt pas freinés par son non remboursement, on peut
penser que certains chercheront un alternative remboursée pour
aider au mieux leur patient. En matière de santé
publique, chaque citoyen n’a pas les mêmes chances de
traitement.
Malgré son haut
niveau de tolérance et sa réelle efficacité, le
millepertuis ne semble pas convaincre la totalité des
médecins. Seuls les médecins optant pour des
médecines plus douces, tels que les homéopathes
prescrivent ce traitement tout en surveillant les modalités de
prescription.
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